Définition de la finance durable
Qu'est-ce que la finance durable ?
La Finance désigne l’ensemble des mécanismes qui apportent à l’économie les capitaux dont elle a besoin pour fonctionner. Son rôle est d’assurer l’utilisation optimale des ressources afin de contribuer au bon fonctionnement de l’économie.
Aujourd’hui, les enjeux liés à la transition sont progressivement intégrés dans les prises de décision : enjeux environnementaux (atténuation et adaptation au changement climatique, disponibilité des ressources comme l’eau ou biodiversité, déchets et qualité de l’air) sociaux ou encore de gouvernance.
Cela passe notamment par l’intégration de pratiques qui permettent de réorienter les capitaux disponibles pour financer la mutation économique, industrielle, technologique et sociétale liée à la transition. Cette nouvelle approche de la finance dite « finance durable » regroupe ainsi l’ensemble des pratiques financières visant à favoriser la réorganisation du système et des flux financiers pour intégrer les enjeux de la transition écologique et atteindre les Objectifs du Développement Durable fixés par l’ONU.
Pour ce faire, elle s’appuie sur différentes pratiques telles que la finance responsable, la finance verte, le financement solidaire et la finance à impact..
Notions clés de la finance durable
L’investissement socialement responsable (ISR)
Il recouvre l’ensemble des initiatives visant à favoriser la prise en compte des critères extra-financiers par les entreprises et les sociétés de gestion. Ces critères portent sur trois piliers dits ESG : l’environnement, le social et la gouvernance.
Ils regroupent ainsi les questions environnementales (pollution, climat, biodiversité etc), les aspects sociaux notamment concernant la transition juste et les bonnes pratiques de gouvernance (formation des administrateurs, les critères de rémunération des dirigeants, la diversité au sein des instances de gouvernance etc.).
Avec le développement de la dynamique réglementaire européenne (devoir de vigilance, SFDR, DNSH), l’analyse des critères ESG dans les pratiques d’investissement, prérequis de l’ISR, est vouée à devenir une « exigence minimale ».
Les stratégies d’investissements socialement responsables peuvent bien sûr aussi aller au-delà des exigences réglementaires, elles s’adaptent à la philosophie d’investissement de l’investisseur qui choisit en fonction de sa volonté d’utiliser les différents outils à sa disposition.
Ces outils peuvent aller de cette stricte analyse des critères ESG, à des stratégies d’exclusions ou d’engagement en passant par des investissements thématiques.
La finance verte
La finance verte se concentre sur les sujets de lutte contre le changement climatique, les enjeux environnementaux et tout particulièrement la transition énergétique et écologique [1].
Pour répondre à ces objectifs, elle s’appuie sur plusieurs types d’outils : fonds thématiques dits « vert », obligations vertes (ou green bonds) qui sont des emprunts servant à financer des projets « verts », la fixation d’un prix au carbone (à travers la fiscalité ou un marché carbone), ou encore la fiscalité.
La finance à impact
C’est une stratégie d’investissement ou de financement qui vise à accélérer la transformation juste et durable de l’économie réelle, en apportant une preuve des effets positifs générés par l’investisseur[2].
Pour ce faire, elle s’appuie sur 3 piliers : l’intentionnalité, l’additionnalité et la mesure de l’impact.
Elle repose sur la volonté des acteurs financiers de générer un bénéfice social ou environnemental qui répond aux Objectifs du Développement Durable (pilier de l’intentionnalité) et de pouvoir le mesurer (pilier de la mesure d’impact).
[2] https://institutdelafinancedurable.com/wp-content/uploads/2021/09/Finance-for-Tomorrow-Definition-de-la-finance-a-impact-Septembre-2021.pdf
La finance solidaire
La finance solidaire relie les épargnants qui cherchent à donner du sens à leur argent à des entreprises et associations à forte utilité sociale et environnementale, qu’ils financeront via la souscription de produits d’épargne solidaire (par exemple Fair). L’objectif est de financer les projets ou investissements importants pour la société mais qui ne trouveraient pas les investisseurs nécessaires à leur développement : activités d’insertion liées à l’emploi, au social et au logement, à la solidarité internationale et à l’environnement.
Typologie des risques financiers liés à la transition climatique
Concernant le changement climatique, les acteurs économiques et financiers sont exposés à des risques importants, généralement classés en trois catégories[1] :
- Risques physique = pertes directes associées aux dommages causés par les aléas climatiques (et les risques liés à la perte de biodiversité) sur les acteurs économiques. (comme l’impact des sécheresses sur les récoltes agricoles ou la perte d’infrastructures suite à un cyclone ou un séisme)
- Risques de transition = conséquences économiques entrainées par la mise en place d’un modèle économique bas-carbone. Analyser le risque de transition, c’est mesurer l’impact sur les actifs financiers qui résultera de la mise en place d’un modèle économique bas-carbone (comme la question des « actifs échoués », les 80% de réserves fossiles connues qui devraient rester dans le sol pour limiter le réchauffement climatique à 2°C[2]. La valeur des actifs échoués liés aux capacités de production d’énergie fossiles serait alors comprise entre 12 000 Mds et 19 500 Mds de dollars à l’horizon 2050 d’après l’IRENA).[3]
- Risques de responsabilité = compensations à payer par une personne morale jugée responsable de conséquences du changement climatique (lié aux réglementations, notamment en raison d’un manquement au devoir de vigilance).
[1] Cf. par exemple le rapport de Finance for Tomorrow de 2019 « Le risque climatique en Finance »
[2] Voir « Unburnable Carbon » , Carbon Tracker
[3] cf. IRENA, Global Energy Transformation 2019
ESG ; ISR et RSE
L’Institut de la finance durable a clarifié les notions dans ce rapport de 2024 :
La RSE est la contribution des entreprises aux principes du développement durable. Elle est définie par la Commission européenne comme « un concept qui désigne l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ».
L’objectif d’une politique RSE est d’aller au-delà des objectifs stratégiques économiques en intégrant les externalités environnementales et sociales, dans une optique de performance globale alliant le financier et l’extra financier. Le couple risque / rentabilité à même d’éclairer la valeur de marché de l’entreprise évolue vers un triptyque risque / rentabilité / soutenabilité, expression de la valeur intrinsèque de l’entreprise.
La RSE s’est vue dotée d’un standard international afin de lui donner ses premières lignes directrices : la norme ISO 26 000. Cette dernière publiée en 2010 représente un consensus mondial autour de la RSE et peut donc servir de base pour évaluer l’engagement des entreprises en faveur du développement durable.
L’ISR est une stratégie d’investissement, qui consiste à intégrer les critères ESG au processus de sélection des entreprises ou projets financés.
Pour cela les investisseurs responsables se fondent sur les critères ESG.
Les critères ESG sont les piliers de l’analyse extra-financière d’une entreprise ou d’un projet : environnement, social et gouvernance.
Le critère Gouvernance vérifie, entre autres paramètres, la transparence, le fonctionnement du conseil d’administration, le respect de la déontologie, l’éthique, la lutte anti-corruption, le respect du consommateur…
Le critère Environnement concerne principalement les enjeux climatiques (atténuation, adaptation) et gestion de ressources (préservation de la biodiversité, la gestion de l’eau, gestion des déchets, la qualité de l’eau et de l’air…
Le critère Social prend en compte, notamment, le respect des législations et des conventions sur le travail, les principes de non-discrimination et la lutte contre les inégalités, la prévention des accidents, le développement des compétences et la formation, la politique de rémunération, le dialogue social etc.
Reporting et analyse de matérialité
Pour obtenir les données nécessaires à l’analyse des pratiques ESG des entreprises, une étape est indispensable : celle du reporting. Celui-ci consiste à communiquer des données afin de saisir la performance d’une entreprise. Pour décider quelles informations déclarer, il faut alors prendre en compte le concept de matérialité.
La matérialité désigne la pertinence ou le niveau d’importance d’une information, d’une donnée, quant à l’impact qu’elle peut avoir sur la performance d’une entreprise et donc sur les prises de décisions.
Il en existe deux types : la matérialité financière (ou simple matérialité) et la matérialité ESG.
- Matérialité financière (outside-in) = elle vise à identifier les informations susceptibles d’avoir un impact sur les performances financières d’une entreprise : c’est une analyse des risques financiers pour l’entreprise. (voir la typologie de ces risques plus bas). Elle est souvent décrite comme une analyse de simple matérialité.
- Matérialité ESG (inside-out) = elle vise à identifier les informations liées aux effets de l’entreprise sur l’environnement, la société et la gouvernance.
Pour optimiser la soutenabilité d’une entreprise, l’Union européenne et l’EFRAG privilégient ainsi la combinaison de ces deux types de matérialité pour le reporting des entreprises dans la nouvelle directive CSRD. C’est ce que l’on appelle la double matérialité.
Une approche de double matérialité implique donc de prendre en compte dans sa stratégie ESG les deux types d’approches : l’identification des risques auxquels s’expose l’entreprise mais aussi l’analyse des effets de ses activités sur la société et l’environnement.
Scope 1 ; 2 ; 3 et 4
Dans le reporting, une des informations primordiales à publier pour les entreprises est celle du bilan carbone qui permet d’évaluer, de quantifier les GES émis par une organisation. Pour les calculer, on utilise généralement une classification encadrée par le GHG Protocol : les scopes. Au nombre de 3, ils permettent de quantifier les émissions de GES à plusieurs étapes de la chaîne de valeur.
- Le scope 1 : Il regroupe toutes les émissions générées directement par l’entreprise lors de ses activités (usines, flottes de véhicules possédées en propre, bureaux, entrepôts etc.)
- Le scope 2 : Il regroupe les émissions indirectes qui sont associées à l’énergie consommée lors des activités de production (électricité, chaleur etc) .
Ces deux types d’émissions font souvent l’objet de suivis et d’objectifs de réduction : directement à la charge de l’entreprise et relativement faciles à suivre en connaissant le mix énergétique à l’échelle du pays (ou de l’Union Européenne). A mesure des optimisations et décarbonation des process, les gains sur les scopes 1 et 2 seront de plus en plus difficiles à déclencher.
- Le scope 3 : Il correspond à l’ensemble des émissions de GES indirectes ayant lieu sur la chaîne de valeur de l’entreprise (fournisseurs de rang N+2 et au-delà, mais aussi l’utilisation des produits par ses clients). Leurs mesures sont assez délicates. Le scope 3 fait l’objet de nombreux échanges afin d’harmoniser ses méthodes de calcul. C’est notamment un des enjeux des travaux de l’IFD.
Enfin, il existe des discussions autour d’un quatrième scope.
- Le scope 4 : il englobe les émissions évitées grâce à l’utilisation de produit de substitution ou du recyclage des produits. Toutefois, de nombreux points restent à déterminer pour utiliser cette notion de façon pleinement opérationnelle.
Devoir de Vigilance
Au-delà du reporting extra financier, le devoir de vigilance est une obligation faite aux entreprises donneuses d’ordre de prévenir les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance liés à leurs activités et celle de leur chaîne de valeur. Incarné dans une loi depuis 2017 en France, elle va se généraliser et s’appliquer au niveau européen avec une nouvelle directive : la Corporate Sustainability Due Diligence Directive ou CS3D.
Les entreprises concernées auront ainsi la responsabilité légale d’être « vigilantes » concernant les abus potentiels liés aux droits humains et aux enjeux sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Concrètement, cela signifie qu’elles devront effectuer des évaluations afin d’identifier les risques, prendre des mesures pour prévenir ces risques, atténuer leurs incidences négatives tout au long de leur chaîne de valeur et publier ces informations dans un plan de vigilance.
Philosophie d’investissement
Chaque fonds possède sa propre philosophie d’investissement c’est-à-dire ses propres motivations pour prendre en compte les critères ESG et donc ses propres cibles d’investissement en fonction des besoins auxquels il veut répondre. Dès lors, une fois définie, la philosophie d’investissement implique la mise en place d’un processus d’investissement propre à chaque fond qui lui permet de sélectionner les entreprises et les projets qui constitueront son portefeuille.
Stratégies d’investissement durable : approches « best », exclusion et engagement
Pour faire de l’ISR, les investisseurs ont à leur disposition plusieurs outils qui leur permettent de sélectionner les entreprises et projets cohérents avec leur philosophie d’investissement.
Les approches « best » décrivent trois manières de classer les entreprises :
- L’approche Best-in-universe : Elle consiste à choisir les entreprises les mieux notées sur le plan ESG tous secteurs confondus. Un fonds best-in-universe sera donc soumis à des biais sectoriels en investissant forcément plus dans des secteurs d’emblée « durables » comme le recyclage ou les EnR par rapport à d’autres secteurs d’activités plus pollueurs comme le transport aérien.
- L’approche Best-in-class : Elle consiste à sélectionner les entreprises les mieux notées sur le plan des critères ESG pour chaque secteur d’activité sans exclure un secteur à priori. Un fonds best-in-class peut ainsi investir dans des secteurs polluants (par l’exemple ceux de l’énergie ou les secteurs miniers) en prenant soin de sélectionner les « meilleurs élèves » de ce secteur.
- L’approche Best-in-progress : Elle consiste à sélectionner les entreprises qui démontrent la meilleure amélioration/les meilleurs plans d’amélioration, de leurs pratiques sur le plan ESG. Un fonds Best-in-progress peut ainsi investir dans des entreprises de transport qui visent à améliorer leurs empreintes carbone en cherchant à passer à l’électrique par exemple.
Ces approches peuvent être associées à une autre stratégie de sélection : l’exclusion.
Les exclusions impliquent d’écarter des valeurs d’un portefeuille afin de ne pas investir dans des entreprises/projets jugées néfastes pour la société. Il existe deux types d’exclusions : les exclusions normatives et sectorielles.
Les premières reviennent à exclure les titres de sociétés qui ne respectent pas le droit international (la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail par exemple) tandis que les secondes relèvent de raisons éthiques et stratégiques (la volonté de ne pas investir dans des activités comme la pornographie, l’alcool ou encore les énergies fossiles non conventionnelles par exemple).
Enfin, ces approches peuvent être complétées par une autre stratégie : les politiques d’engagement.
Davantage dans une optique d’accompagnement, leur objectif est que l’investisseur profite de son statut pour orienter la politique de l’entreprise selon les valeurs qu’il souhaite défendre. Par exemple, les actionnaires peuvent utiliser leur droit de vote en Assemblée générale afin de proposer des résolutions plus ambitieuses sur les enjeux du développement durable.
C’est dans ce même esprit que se sont développés les Say On Climate. Ces résolutions soumises par l’entreprise au vote des actionnaires et qui visent à recueillir leur avis sur la stratégique climatique et/ou sa mise en œuvre sont des outils intéressants, permettant d’instaurer un dialogue actionnarial.
Quelques chiffres sur les besoins de financement
Les investissements nécessaires pour réussir la transition écologique demandent des efforts très significatifs.. .[2]
[2] https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
Chiffres au niveau global
L’investissement requis annuellement pour le financement de la transition écologique est estimé à une fourchette comprise entre 2500 Mds et 4 500 Mds de dollars. Pour atteindre ces chiffres, cela nécessite de multiplier nos investissements actuels par 3, voir par 7 si l’on prend la fourchette haute.[3] Concernant plus généralement les objectifs de développement durable, les estimations des besoins annuels de financement sont de l’ordre de 5000 Mds de dollars à horizon 2030[4].
[3] IPCC (2022), WGIII Technical Summary (Figure TS.25)
[4] Rapport de l’UNCTAD, septembre 2023
Chiffres au niveau européen
Les besoins d’investissements en Europe s’élèvent à une fourchette comprise entre 400 Mds et 750 Mds de dollars par an. Là encore, cela implique une multiplication des investissements actuels par un facteur 2 à 4 selon les scénarios.
Le Plan d’investissement vert européen (European Green Deal Investment Plan ou EGDIP) vise la mobilisation totale de 1 000 Mds d’euros dans les investissements durables sur la décennie 2020 – 2030.[5]
Dans ce dernier, l’objectif est d’utiliser au minimum 100 Mds d’euros sur la période 2021-2027 pour le mécanisme de transition énergétique juste afin d’aider l’évolution du système énergétique de pays émergents carbonés[6] (comme l’Afrique du Sud[7])
La Commission Européenne estime que 4 000 Mds d’euros supplémentaires seront nécessaires entre 2021 et 2030 pour tenir les engagements de 2030 de l’UE, dont les 3/4 reposerait sur les investissements du secteur privé.[8]
[5] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/qanda_20_24
[6] Ibid
[7] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_21_5768
[8] https://www.imf.org/en/Blogs/Articles/2023/05/11/europe-and-the-world-should-use-green-subsidies-cooperatively
Chiffres au niveau français
Dans le plan de financement de la transition écologique, il est établi que les besoins en financements pour tenir les engagements de la SNBC III sont importants (+110 milliards d’euros par an pour l’économie française d’ici à 2030 par rapport à 2021 dans le cadre de l’atteinte de fit for 55, +63 milliards d’euros en net)[9]. Les moyens pour financer cette transition existent, en particulier grâce à un niveau d’épargne élevé (3200 milliards d’euros d’épargne longue en stock, et plus de 100 milliards d’euros supplémentaires par an en flux, potentiellement mobilisables). 9,6 Mds d’euros de titres verts émis par la France en 2022 : encours cumulé à 52 Mds. La France confirme sa place parmi les principaux émetteurs mondiaux sur ce marché.
[9] https://tresor.economie.gouv.fr/Articles/2024/04/04/quels-besoins-d-investissements-pour-les-objectifs-francais-de-decarbonation-en-2030-1